Qui l'eut crue...
Publié le 2 Juin 2016
Tout a commencé par un texto mardi soir à 21h30 : "vigilance rouge, pas d'école demain ni probablement jeudi... faites circuler..." Au début tu penses à un texto spam et tu réponds "Sérieux?" puis le téléphone sonne...
Non, en fait tout a commencé dans le train le même jour entre 19h et 20h30. Au lieu des 53mn on met 1h30 pour rentrer à cause d'un éboulement sur les voies. Comme toujours dans ces cas, on a du mal à croire ce qu'on nous raconte parce que la SNCF a une fâcheuse tendance à prendre les voyageurs pour des idiots et surtout une fâcheuse tendance à la désinformation envers ses usagers, bref... On flippe un peu quand même quand le train roule à 2 à l'heure sur un viaduc, au dessus du vide donc...
Les textos s'échangent pour que tout le monde soit au courant, les enfants sont contents, les adultes se disent que de toute façon avec la grève des trains vraiment hard cette fois ci, ça va être compliqué d'aller bosser, autant rester à la maison.
Le lendemain matin on part faire quelques courses à la supérette du coin et tout le monde ne parle que de ça. Les premières routes sont coupées, l'eau est montée et les premières personnes proches de l'eau on été évacuées dans la nuit. "Ah c'est donc ça, j'ai entendu des voitures, du bruit hier soir..." On entend des bribes de conversation "packs d'eau, la mairie en a pris ce matin..." Je me dis en silence que quand même il ne faut pas exagérer, on ne va pas se ruer sur l'eau déjà que les rayons sont un peu vides (les livraisons qui n'arrivent pas, les problèmes d'essence, la peur de manquer...).
En sortant je vais à la mairie pour vérifier cette histoire d'eau et on me conseille d'en acheter. Je retourne à la supérette 1h plus tard et pas une place sur le parking ce qui n'arrive jamais ! Tout le monde a son, ou ses packs d'eau sous le bras. Ok le message est passé.
La situation s'aggrave, d'autres évacuations sont en cours et le gymnase est réquisitionné. Mais ce n'est pas aussi dramatique que dans la ville voisine de Nemours par exemple. Ici on a la chance que la ville soit faite de hauts et de bas ce qui protège la majeure partie de la population. Vers 15h, la route principale est coupée tout comme la ligne de train à cause des inondations vers Montargis. On sait déjà qu'on ne pourra pas aller travailler le jeudi matin sutout que la grève se durcit... Essayer de trouver un train équivaut presque à gagner au Loto... la région cumule les ennuis...
Etrange ambiance que ce mercredi après midi où les voitures ne circulent plus dans les rues coupées. Rues dans lesquelles une grande majorité de la population s'est rassemblée. Pour voir oui forcément parce que c'est un événement, parce qu'on est un peu stressés à cause des hélicos et avions qui suvolent, mais aussi pour échanger, se rassurer, compatir, prendre des nouvelles. C'est vrai que les catastrophes rassemblent et j'ai envie de dire heureusement. Heureusement qu'on peut compter les uns sur les autres pour se dépanner avec les enfants, aller se chercher dans les gares lointaines, proposer son aide ou des vêtements chauds, montrer qu'on est là si besoin, surveiller l'eau qui monte vers les maisons des absents...
Ce n'est pas parce que toi personnellement tu as peu de risques de voir ta maison inondée que tu n'es pas concernée. C'est ta ville, tes rues, tes commerces, tes voisins et parfois tes amis. C'est aussi la famille de tes amis. Amis qui parfois ont de la famille dans les villes alentours comme Nemours qui a payé cher. On va bien, la ville va bien, il n'y a que des dégâts matériels mais ça n'est jamais une épreuve facile. Et l'eau monte encore dans la ville voisine de Moret sur Loing...
Il parait que l'eau n'est plus potable, Veolia a envoyé des messages à certains, on ne sait plus quoi croire mais on est content d'avoir de l'eau en bouteilles. Le soir je cherche sur Google si je peux cuire des pâtes à l'eau non potable. La réponse est oui mais le lendemain on a mal au ventre, on se demande si on a bien fait alors que ça n'a sûrement rien à voir !
Mercredi soir la ville était dans le noir, l'éclairage public ne fonctionnait plus, encore une touche d'étrange à la situation. J'ai mal dormi et je me réveille jeudi sous la pluie qui tombe sévère. On reste enfermés toute la journée, on télétravaille tant bien que mal mais la déprime n'est pas loin. Demain il n'y a toujours pas école et du côté des trains ça ne fait que s'aggraver. La région est toujours en vigilance rouge, l'eau baisse un peu mais ça continue de monter plus loin, vers Paris. D'ailleurs ici les discours sont les mêmes. Les gens dépités regardent l'eau envahir les jardins et les maisons avec une pointe d'amertume "on a sauvé Paris... les digues sautent, on est inondé mais Paris est sauvé..." Rumeur ou vérité ?
Je sais que ça va être la galère demain mais je vais tout faire pour aller travailler, il le faut. Je vais me lever tôt parce qu'après 8h il n'y a plus de trains, parce que l'accès à la gare la plus proche est incertain, la ville est sous l'eau. Je vais chausser mes bottes de pluie et essayer de garder le sourire. Garder le sourire parce que même si la crue s'éloigne cela ne signifie pas un retour à la normale. On ne sait pas si l'école reprendra lundi, on ne sait pas si les gares seront réouvertes, on ne sait pas si la grève s'arrêtera... La Seine et Marne est toujours en vigilance rouge...
La journée va être longue, la semaine à venir va être longue. Je vais bien, on va bien... Demain est un autre jour...