Il ne va rien nous arriver ?

Publié le 15 Novembre 2015

Il ne va rien nous arriver ?

Il y a des questions de nos enfants qui nous mettent mal à l'aise, qui nous font rire, qui nous piègent, qui nous enthousiasment... Et il y a celle-là, celle qui nous tord de douleur, celle qui nous déchire, celle à laquelle on ne peut répondre, celle qui nous fait regretter "Comment on fait les bébés?"...

"Il ne va rien nous arriver ?

Nous, moi, toi, papa, notre famille, nos amis, nos connaissances, notre pays, notre monde....

Vendredi soir 13 novembre 2015, nous avons regardé un joli film, nous étions toutes les deux dans une bulle de bonheur, lovées sur le canapés. J'ai ensuite consulté mon téléphone et j'ai rapidement vu "fusillades dans Paris...", nous nous sommes couchées sans avoir toutes les informations, sans savoir le dixième de ce qui c'était passé. J'ai fermé mon téléphone après avoir reçu les textos rassurants de la famille... Je ne voulais pas procurer de l'angoisse à ma fille juste avant de dormir... réaction naturelle de parent.

 

Samedi matin, je me suis levée tôt, j'ai pris l'ampleur de l'horreur, j'ai pleuré encore et encore, j'ai pris des nouvelles des proches, répondu aux autres... Ma fille dormait profondément, je n'avais pas envie qu'elle me voit en larmes mais je savais qu'il fallait en parler sans attendre.

Quand elle s'est réveillée, je l'ai prise dans mes bras, je lui ai raconté comme j'ai pu, elle avait "Charlie" en tête, elle a très bien compris que c'était la même chose mais avec plus de morts. Sa première question d'enfant a été pour la famille proche, sa deuxième a été sur la notion de kamikaze parce qu'elle a voulu savoir si les terroristes étaient morts, sa troisième "Est ce qu'on va faire la minute de silence ?" Je ne suis pas entré dans les détails, non, j'ai simplement parlé des morts et des terroristes.

 

La journée s'est passée sans qu'elle ne revienne sur le sujet, elle a joué, reçu une copine avec qui elle a rigolé comme une enfant insouciante et heureuse de vivre.

Elle m'a juste dit le matin "Tu vois je t'avais dit hier que c'était une journée de malheur le vendredi 13..."

 

 

 

Il ne va rien nous arriver ?

Pendant que je l'entendais rire, j'étais sur l'ordinateur, j'apprenais les mauvaises nouvelles, je priais pour que les avis de recherche ne se transforment pas tous en avis de décès même si le chiffre de morts annoncés au Bataclan laissait présager beaucoup de tristesse pour les familles. J'ai vu passer les noms et les photos, c'est comme si je les connaissais depuis le matin et chaque mauvaise nouvelle m'a brisée le coeur un peu plus (et je sais pertinemment que ma douleur n'est rien, je vais bien, ma famille va bien...).

 

Cela aurait pu arriver à n'importe qui et c'est arrivé à des copines, à des connaissances, à des amis d'amis qui ont perdu un parent ou un proche, qui ont un blessé grave à l'hopital. Le monde est petit, Paris est petit, on connait tous quelqu'un qui a perdu quelqu'un, quelqu'un qui connait quelqu'un... Je pense à Valérie, Julie, Sylvie...

Là j'ouvre une parenthèse à ce billet qui parle du rapport à l'enfant.

Certains nous reprochent de nous en foutre de ce qui se passe ailleurs dans le monde et que ça y est, on voit enfin ce que ça fait. Non, on ne s'en fout pas, oui on est triste mais c'est humain et normal de sentir plus concerné quand cela touche notre pays, nos proches, notre territoire.

Je compatis, je pleure aussi parfois quand j'entends les atrocités commises ailleurs, quand j'entends les guerres sans mobile, quand j'entends les attentats, je fais des dons pour aider quand je le peux comme beaucoup d'autres. Je ne m'en lave pas les mains mais je n'habite pas à Beyrouth, ni à Damas, je ne vais pas m'excuser d'être née en France, d'être française et de me sentir plus concernée quand la mort touche mon pays, ma famille, mes amis, les amis de mes amis de mes amis... où quand elle touche ma famille, mes amis, les amis de mes amis à l'étranger. Si quelqu'un de ma famille meurt je vais le prendre beaucoup plus personnellement que si c'est quelqu'un de la famille d'un ami, de la famille d'une connaissance, de la famille d'un inconnu. Je vais être triste ou compatir mais ça ne sera jamais pareil que si je suis touchée personnellement. Et puis même quand on exprime ses pensées et sa compassion aux victimes des guerres ailleurs, on nous fait encore le reproche "c'est bien beau de pleureur mais concrètement tu fais quoi ?" Si j'habitais Beyrouth ou Damas, je serais peut être triste pour la France mais pas autant que ce je vivrais sur place...

Donc non on ne s'en fout pas des autres (même si certains le disent et l'assument, c'est leur droit) mais laissez nous pleurer nos morts, car ce sont "nos" morts, et être plus touchés par ce qui se passe près de chez nous qu'à des milliers de kilomètres...

Il ne va rien nous arriver ?

Ma fille s'est couchée avec sa copine, leur journée s'est bien terminée. Ce matin, elle est venue dans mon lit en larmes parce qu'elle avait fait un cauchemar terrible, plus vrai que nature sur ce qui s'est passé vendredi soir sauf que c'était elle et moi et pourtant je ne lui avais pas raconté de détails, elle n'a pas vu une image, ni les infos du week-end. Et sa question...

 

"Il ne va rien nous arriver ?"

 

Comment je peux te répondre sans te mentir ma fille, car la vérité c'est que je n'en sais rien. Je peux te dire que l'on fera attention, que la police et les militaires feront tout pour nous protéger, qu'il faut avoir confiance et qu'il faut continuer à vivre mais je ne peux pas te répondre exactement ce que j'aurais tellement envie de te dire pour que tes cauchemars cessent...

Je ne peux pas te dire "Non, ma chérie, je te promets qu'il ne va rien nous arriver..." Je ne peux pas te le promettre parce que je n'en suis pas sûre, parce que je ne sais plus et parce que demain matin quand je vais reprendre le train pour aller travailler à Paris, je vais essayer de ne pas avoir peur pour toi, pour nous, pour l'avenir, pour le monde... Mais la vérité c'est que j'ai peur pour la suite depuis des années et pas uniquement depuis janvier dernier. Je ne peux pas te le promettre, je peux juste l'espérer. Et bien sûr, je ne te dis pas la moitié de ce que je pense...

Je ne vais pas faire le coup du discours sur l'espoir que représentent nos enfants parce que là encore je n'en sais rien, je n'en suis plus si sûre, je veux avoir le recul de quelques années dans le futur pour le dire. La montée des extrêmes concerne beaucoup de monde, nos politiques continuent leurs magouilles, les médias continuent à faire n'importe quoi, des gens continuent à déverser leur haine et leur connerie, les fous balancent leurs bombes partout et la vindicte populaire est tapie dans l'ombre... alors pour le moment, mon espoir est là mais il ne s'exprime pas aussi fortement que je le voudrais. Comme le dit un être cher "On s'est toujours relevé, le monde s'est toujours relevé..."

Je ne veux pas non plus faire le discours angélique sur les enfants de demain qui sont l'espoir de l'humanité parce que je me dis que c'est à nous de bosser là tout de suite pour eux. On ne va pas attendre qu'ils aient 18 ans, 20 ans, 25 ans, on ne va pas attendre que leur génération fasse le boulot. C'est à nous de le faire maintenant, nous n'avons que trop tardé... C'est à nous de leur enseigner la tolérance, le respect, la liberté mais c'est aussi à nous de faire en sorte qu'ils puissent la vivre cette liberté, qu'ils puissent en profiter...

Illustration de Jean Jullien

Illustration de Jean Jullien

Pensées à toutes les victimes et leurs familles, leurs amis, leurs proches... Pensées pour mon pays, pensées pour le monde, pensées pour l'humanité...

Amour, paix et solidarité c'est tout ce que je vous souhaite...

 

 

 

 

Ps : j'en profite pour rappeler que le drapeau français n'appartient à aucun parti. C'est un des symboles de la République Française, notre emblème national suite à la Révolution Française. Personne ne peut se l'attribuer pour lui faire dire des choses qui n'ont rien à voir avec l'esprit de 1789... Ma fille est en train de le réviser, c'est au programme de CM1-CM2.

Rédigé par Carole Nipette

Publié dans #humeurs, #Les réflexions existentielles d'une maman

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Commenter cet article
A
difficile d'expliquer à un enfant les conneries des adultes..
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C
de plus en plus difficile car les conneries sont de plus en plus énormes :(
L
C'est terrible cette incertitude ... nous habitons dans un tout petit village, alors c'est plus facile de dire à mes enfants qu'ici il ne leur arrivera rien ... mais demain ?<br /> Et ce n'est pas de l'angélisme de dire que nos enfants sont nos espoirs, leur apprendre la tolérance, l'amour, le prix de la paix, c'est ce que nous avons de mieux à faire ...
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C
Quand je parle d'angélisme c'est vu le ton de beaucoup sur le sujet... oui on va leur apprendre mais aujourd'hui il y a beaucoup (et je n'ose pas dire un pourcentage mondial flippant) de gens qui ne sont ni tolérants ni aimants et qui le transmettent à leurs enfants et pas qu'en France, donc je ne veux pas être naïve... mon enfant est peut être mon espoir mais celui de mon voisin non... je veux dire aussi que mon espoir ne doit pas reposer que sur nos enfants sinon c'est fichu d'avance...
L
Amen....<br /> de gros bisous à ta fille<br /> (ce commentaire n'a rien de religieux....)
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C
j'utilise aussi Amen sans être vraiment croyante :) merci pour les bisous je t'en renvoie !
M
C'est ce qui me fait mal : ne pas pouvoir promettre...
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C
:(
U
J'ai voulu rassurer ma.grande et je lui ai répondu qu'en tout cas je serai tjs là pour la protéger
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C
pareil mais la mienne pose beaucoup plus de questions :(
P
Très bel article...
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C
merci...
K
Tout est dit...
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C
je ne sais pas si tout est dit, mais ce que j'avais envie de dire en tout cas sur le moment...